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Cyberfraude en entreprise : quid des dégâts humains ?

Selon une étude récente* 8 entreprises sur 10 ont subi au moins une tentative de fraude et 10% des sociétés attaquées l’année précédente auraient subi une perte supérieure à 100 000 €. Les dégâts financiers sont souvent évoquées. Pourtant, d’autres dommages plus important encore sont à déplorer : qu’en est-il de l’humain ?



Appelé en urgence par sa responsable RH, je reçois dans un lieu discret à proximité de l'entreprise une directrice financière effondrée.

Madame X. est en état de choc. Pendant trois semaines, elle croyait être en relation avec le technicien informatique et sécurité d’un de leur prestataire financier. Sous prétexte de mise à jour d’un programme (les faits sont modifiés pour préserver l’anonymat), elle accepte de renouveler des mots de passe avec lui. Le technicien inspire confiance, elle échange aussi avec le responsable de ce dernier, depuis plusieurs semaines, toujours par téléphone. Les deux personnes paraissent à l’aise et connaissent les noms des responsables du service financier et même d’autres entités. Madame X. n’imagine pas alors un seul instant que des escrocs mettent en place très progressivement, semaine après semaine, un piège machiavélique. A l’issue du renouvellement de plusieurs codes auprès de Madame X et d’autres personnes du service, plusieurs dizaines de milliers d’euros sont dérobés par virement.

Un cas loin d'être isolé

L’escroquerie est loin d’être isolée : aujourd’hui les cas de cyberfraude se multiplient car les escrocs évoluent techniquement et se déplacent là où est l’argent, c'est à dire vers les services financiers, comptables, achats et logistiques... L’escroquerie voit ses méthodes se « digitaliser » de façon toujours plus complexe et sournoise. On évoque essentiellement les pertes financières dont les montants impressionnants retiennent facilement l’attention médiatique… Les oubliés sont souvent les victimes. On se remet difficilement de si grandes manipulations sans aide concrète de l’entreprise et des principes de solidarité.

Madame X. s’accable de tous les torts. Comment a-t-elle pu transmettre ses mots de passe ? Juste après les interrogatoires de police, c’est d’ailleurs la question récurrente de toute sa hiérarchie et de ses proches collaborateurs. Une question qui n’aura de cesse de la hanter, jour après jour et nuit après nuit. Madame X. est tombée rapidement en dépression, submergée de remords, de culpabilités et surtout d’une honte terrible. Elle devient paranoïaque au travail, maniaque dans ses procédures même les plus anodines. Elle refuse aussi de prendre de nouvelles responsabilités et craint sans cesse le jugement des autres. Madame X. n’est plus la même, elle a peur et se sent désormais vulnérable. Elle, et quatre de ses collègues, ont des traumatismes sérieux. Sans une aide adaptée, des aggravations sont possibles jusqu’à des risques de dépression (culpabilité, repli, stress chronique) ou de burn-out (surcharge et sur-présentéisme pour compenser).

Enfin, une posture culpabilisante de l’entreprise qui serait non reconnaissante officiellement du statut de victime de son employé et des manques dans ses procédures de sécurité pourraient conduire à terme les personnes les plus fragiles à commettre l’irréparable.

Les arnaques au faux président, au faux bailleur, au faux technicien spécialiste des virements bancaires continuent de menacer les entreprises et leurs collaborateurs. L’escroquerie interne ou externe (escroc, fraudeur interne ou externe à l’entreprise) touche aujourd’hui autant les petites que les grandes entreprises et, au-delà des services financiers et comptable, peut aussi concerner les services logistique, achat et informatique.

Escroqueries et traumatismes psychologiques

Les victimes de l’escroquerie peuvent avoir subi des traumatismes psychologiques différents avec une ampleur et des effets secondaires variant selon leur type de personnalité, leur éducation, leur situation familiale ou professionnelle. Ainsi au sein d’une équipe, chacun peut avoir vécu et perçu le même évènement d’une façon très différente en rapport avec sa sensibilité et sa situation personnelle. Contrairement aux violences physiques, l’escroquerie peut avoir pour conséquences des souffrances psychologiques non visibles. Les victimes se sentent responsables et coupables de s’être fait piéger.

Selon les personnalités, des questions amplifient le sentiment de dévalorisation et développent le mal-être, voire la dépression : « Comment ai-je pu croire un inconnu ? », « Comment telle personne que je connais depuis 10 ans a-t-elle pu me tromper à ce point ? », « Comment ai-je pu accepter de le faire ? » « Pourquoi n’ai je pas compris avant que j’étais manipulé ? » « Comment ai-je pu pleurer autant sur mon lieu de travail devant les autres ? Que va-t-il se passer maintenant pour ma carrière ? » « Que va penser mon épouse de cette histoire ? Est-ce que je vais perdre mon travail et être licencié pour faute ? Comment faire pour payer le crédit de la maison et les études des enfants ? » etc.

Aussi des pensées noires, catastrophiques, peuvent devenir omniprésentes et altérer les capacités habituelles de jugement et de confiance en soi. Une part de soi est traumatisée, envahie par un sentiment de vulnérabilité nouveau et comme irrémédiable. Il est difficile d’avouer la peur du jugement de l’autre, de comprendre et reconnaître des émotions et comportements exceptionnels que peut provoquer une escroquerie. Par conséquent s’il semble nécessaire de faire appel à l’assistance d’un psychologue. Il est important d’apporter une aide répondant à une demande claire et volontaire, personnalisée à chaque victime sous forme d’entretien individuel et confidentiel, dans un cadre adapté.

Reconnaître le statut de victime au salarié

Une escroquerie engendre des impacts psychologiques qui peuvent se développer sans un accompagnement spécifique. On encourt un risque d’aggravation du traumatisme dès lors que le salarié est ignoré dans ses souffrances (parfois non conscientes ou cachées) ou que l’on ne reconnaît pas le statut de victime au salarié.

Il s’agit en effet de se donner les moyens de proposer une aide et un cadre spécifique d’écoutes et d’échanges, si possible rapidement mise en place. Selon sa gravité, l’escroquerie peut connaître des suites professionnelles et juridiques affectant de nouveau les salarié (s) et l’entreprise. Il s’agit alors d’anticiper et d’accompagner d’éventuelles nouvelles tensions et pressions psychologiques. L'entreprise et ses hiérarchies peuvent aussi provoquer des impacts psychologiques supplémentaires : critiques incessantes, demandes d’explications répétées, mea culpa, excuses etc. Les victimes sont fragilisées et nécessitent avant toute chose une prise en charge, un accompagnement, un espace de parole et de reconnaissance.

*Euler Hermes / DFCG 2017

A propos de l'auteur

Frédéric Laura dirige l’agence-conseil ACCODIR spécialisée dans l'accompagnement des chefs d'entreprise, de dirigeants, managers et indépendants en recherche de soutien et de mieux-être.

Autre article publié pour le groupe Euler Hermes


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